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Le cœur du vinyle : MM ou MC, la quête du signal parfait

Écouter un disque vinyle, c’est accepter un pacte entre poésie et ingénierie. On pose la pointe de diamant, et ce qui semble magique est en réalité une chorégraphie d’électromagnétisme, de mécanique fine et d’acoustique appliquée. Au centre de cette chorégraphie : la cellule phono. Deux grandes familles règnent depuis plus d’un demi-siècle — l’aimant mobile (MM) et la bobine mobile (MC). Elles poursuivent le même but — traduire fidèlement la géométrie du sillon en tension électrique — mais par des moyens opposés, avec des conséquences très concrètes sur la restitution sonore, la compatibilité électronique et l’expérience d’écoute. Voici un guide technique et sensoriel, riche en explications, pour comprendre en profondeur leurs différences et choisir en connaissance de cause.


De la pointe au courant : l’induction au service de la musique

Le principe fondamental est l’induction électromagnétique : une variation de flux magnétique à travers une bobine induit une tension. En MM, un petit aimant fixé au bout du cantilever se déplace entre deux bobines fixes ; en MC, de minuscules bobines fixées au cantilever se déplacent dans le champ d’un aimant fixe. Dans les deux cas, ce sont les modulations gravées dans le vinyle qui pilotent le mouvement.

Cette inversion des rôles entraîne une différence majeure de masse mobile. En MM, le cantilever transporte un aimant : c’est pratique et robuste, mais plus lourd. En MC, le cantilever transporte des bobines en fil ultra-fin : c’est délicat, mais beaucoup plus léger. Toute la suite découle en grande partie de cette simple différence de masse.


Masse mobile, inertie et suivi du sillon

Une pointe de lecture doit suivre des ondulations microscopiques jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’oscillations par seconde. La capacité à suivre ces modulations dépend de l’inertie du système et de l’amortissement mécanique du cantilever.

Cellules MM : la présence de l’aimant augmente la masse oscillante. À l’écoute, on obtient souvent une sensation de densité et de « matière » dans le médium et le bas-médium, un grave plus charnu, et un aigu plus doux, parfois légèrement arrondi. Cette douceur est en partie liée au fait que la masse freine les micro-accélérations nécessaires pour les très hautes fréquences : on gomme un peu les aspérités, on arrondit les angles. Sur des pressages anciens ou imparfaits, c’est souvent flatteur.

Cellules MC : des bobines lilliputiennes réduisent drastiquement l’inertie. La cellule réagit plus vite aux micro-variations, gère mieux les attaques et les relâchements de notes, et décortique les micro-informations. On parle de transitoires plus nets, d’une aération accrue entre les instruments, d’un meilleur « noir » entre les sons. La sensation de relief et de profondeur — l’image stéréophonique « qui respire » — s’en trouve généralement améliorée.


Cantilever et pointe : matériaux et profils, des choix déterminants

Le cantilever est la colonne vertébrale de la cellule. Sa rigidité, sa masse et son amortissement conditionnent la transmission des vibrations.
Aluminium : courant sur de nombreuses MM. Léger, économique, il apporte une restitution douce avec un haut du spectre moins incisif.
Bore/boron, béryllium, rubis, diamant : matériaux à rigidité spécifique élevée, fréquents sur des MC ambitieuses. Ils transmettent l’énergie avec moins de déformation et de pertes ; l’aigu gagne en extension et en propreté, les timbres se précisent, la scène gagne en focalisation.

Le profil de la pointe influence autant — voire plus — que la technologie MM/MC. Un spherique/conique est tolérant mais moins pointu dans l’aigu et les fins de face (distorsion de suivi accrue). Un elliptique améliore la lecture latérale et la finesse. Les profils line contact, Shibata, MicroLine/MicroRidge, Fritz Gyger augmentent la surface de contact dans la profondeur du sillon ; on récupère davantage d’information haute fréquence, on réduit l’usure locale et l’IGD (inner-groove distortion) diminue sensiblement… à condition d’un alignement très soigné (azimut, VTA/SRA, VTF, antiskating). Une MC à cantilever rigide et profil line-contact bien réglée donne souvent cette sensation de « projection holographique » et de micro-détails organiques.


Inductance, capacité et résonances électriques : l’autre moitié de l’histoire

Une cellule n’est pas qu’un transducteur mécanique ; c’est aussi un circuit électrique avec sa résistance, son inductance et, du côté du préampli/câbles, une capacité d’entrée. L’interaction de ces paramètres crée une résonance électrique dans le haut du spectre qui peut modeler la tonalité.

MM : l’inductance des bobines fixes est relativement élevée (typiquement quelques centaines de millihenrys). L’ensemble cellule + câble + entrée phono (47 kΩ et 100–300 pF en général) forme un réseau RLC où la capacité totale a un impact audible. Une capacité trop élevée déplace la résonance vers des fréquences plus basses, provoquant un pic d’aigu ou, si amortie, un arrondi du haut du spectre. D’où l’importance de maîtriser la capacitance des câbles et de l’entrée phono avec une MM, sous peine de colorer le haut-médium/aigu.

MC : l’inductance interne est très faible (plutôt des microhenrys) et l’impédance de sortie de quelques ohms à quelques dizaines d’ohms. La cellule est beaucoup moins sensible à la capacité des câbles ; l’essentiel se joue sur la charge résistive du préampli (ou du transformateur élévateur). Une charge inadaptée (trop élevée) peut laisser apparaître un rehaut d’aigu ou un léger grésillement de texture ; une charge trop basse étouffe et ralentit le haut du spectre. La règle empirique « charge ≈ 10× l’impédance interne de la cellule » est un bon point de départ, à ajuster à l’oreille.


Niveaux de sortie, bruit et gain : l’art d’amplifier le minuscule

La tension de sortie d’une MM tourne souvent entre 3 et 6 mV (à 5 cm/s), compatible avec une section phono MM standard (gain ≈ 35–40 dB). L’impédance de charge canonique est 47 kΩ. L’ensemble est facile à intégrer : bruit contenu, large compatibilité, et tolérance accrue aux électroniques non spécialisées.

Une MC « low output » sort plutôt 0,2 à 0,5 mV ; elle exige 55–70 dB de gain cumulé et un plan de lutte contre le bruit plus sévère. Deux voies existent :

  1. Préampli MC actif : étages à faible bruit de tension (FET, bipolaires) optimisés pour les faibles niveaux.
  2. Transformateur élévateur (SUT) : il multiplie la tension par le rapport de spires (1:10 ≈ +20 dB, 1:20 ≈ +26 dB) tout en réfléchissant l’impédance d’entrée du préampli (47 kΩ) divisée par le carré du rapport : 1:10 → 470 Ω, 1:20 → ≈ 118 Ω vus par la cellule. Le SUT apporte un bruit de fond extrêmement bas et une dynamique très naturelle, mais impose un appariement précis au paramètre interne de la cellule.

Certaines MC « high output » (HOMC) délivrent 1,5–2,5 mV, utilisables sur entrée MM ; elles conservent une partie des bénéfices de la faible masse mobile, au prix d’un compromis sur la finesse ultime.


Tracking ability, compliance et appariement bras/cellule

Chaque cellule possède une compliance (souplesse de la suspension) et une masse qui, combinées à la masse effective du bras, déterminent la fréquence de résonance bras/cellule. L’idéal se situe vers 8–12 Hz : en dessous, la lecture devient sensible aux ondulations/voile du disque ; au-dessus, on risque d’interférer avec le spectre audio (grave supérieur).

Les MM sont souvent plus complaisantes (compliance « élevée », typiquement 20–30 µm/mN à 10 Hz) et s’entendent bien avec des bras de masse faible à moyenne. Beaucoup de MC affichent une compliance plus basse (8–15 µm/mN), aimant les bras un peu plus lourds ou rigides. Rien d’absolu, mais veiller à cette compatibilité évite le « pompage » visible et améliore la tenue du grave, la stabilité de la scène et la propreté des fins de face.

La force d’appui (VTF) joue un rôle décisif. Trop faible : mistracking, distorsion, usure accrue. Trop forte : écrasement du sillon, perte d’air. Respecter la plage recommandée et ajuster à l’oreille/mesure (tests de suivi) assure des transitoires nets, un grave tendu et un aigu propre.


Séparation des canaux, diaphonie et image stéréophonique

L’illusion de scène sonore dépend de la séparation des canaux et de la symétrie mécanique/électrique de la cellule. De nombreuses MM atteignent 25–30 dB de séparation à 1 kHz ; des MC bien réalisées grimpent souvent au-delà de 30 dB. À l’écoute, la différence se traduit par une meilleure focalisation des sources, une profondeur plus lisible et des réverbérations mieux détachées. Le câblage interne du bras, la qualité des connecteurs, et surtout un azimut rigoureux (pointe parfaitement verticale) façonnent autant la scène que la cellule elle-même.


RIAA, bruit et headroom : l’écosystème phono au complet

Le trajet d’un signal phono implique une égalisation RIAA inverse : le grave est fortement réamplifié et l’aigu atténué. Le vinyle étant pressé avec une courbe RIAA pré-accentuée, le préampli applique l’égalisation inverse. Conséquence : toute perturbation très basse fréquence (déséquilibre bras/cellule, résonances, rumble) sera amplifiée. Un préampli MM/MC de qualité doit conjuguer bruit minimal, gain stable, tolérance en tension (headroom) et précision de la courbe. Les MC « low output », exigeant plus de gain, mettent la barre plus haut en matière de noise floor et de blindage contre les boucles de masse et le 50/60 Hz.


Signatures sonores attendues : comment ça s’entend, exactement ?

Sans caricaturer, on peut esquisser deux philosophies.

MM : chaleur maîtrisée et densité musicale.

On retrouve un médium chantant, un grave confortable, un haut un peu adouci. Les attaques de grosse caisse sont franches mais pas chirurgicales ; les voix ont du corps ; les cuivres et les guitares gardent un grain plaisant sans stridence. Sur des pressages rock vintage, du jazz feutré, de la soul, des enregistrements « chauds », l’accord est particulièrement heureux. Les MM pardonnent plus volontiers les vinyles imparfaits et les chaînes moins spécialisées. La scène est large, parfois moins découplée au scalpel, avec un halo plaisant autour des sources.

MC : transparence, micro-détails et relief.

L’écoute gagne en aération ; on entend les ambiances de salle, la queue des réverbérations, les textures des archets et des peaux, le souffle d’un instrument à vent. Les transitoires sont incisifs, le haut-médium est plus rapide, l’aigu plus filé. Le grave paraît plus tendu, moins enveloppant mais plus articulé. L’image s’ouvre en 3D, la localisation est plus nette. Cette honnêteté accrue exige un réglage méticuleux et un environnement silencieux : la MC révèle tout, le meilleur… comme le moins bon.


Durabilité, entretien et coût global

Les MM ont un avantage pratique majeur : pointe remplaçable. On peut restaurer les performances pour un coût mesuré, explorer des profils de diamant supérieurs sur le même corps, et rester serein face à l’usure normale. Le coût total de possession sur plusieurs années reste raisonnable.

Les MC sont scellées ; en fin de vie, on parle de retip ou d’échange (programmes « trade-in », quand proposés). Les opérations sont plus onéreuses et exigent des spécialistes. À l’usage, une MC bien réglée et chouchoutée offre des performances de pointe, mais la discipline d’entretien (propreté des disques, brossage de pointe, vérification périodique des réglages) est encore plus cruciale.


Hum, masses et câbles : le silence comme ingrédient

À ces niveaux de signal, le blindage, la gestion des masses et la qualité des connexions deviennent critiques. Les MM, avec leur plus haut niveau, sont un peu moins vulnérables au bruit de fond. Les MC « low output » réclament une hygiène irréprochable : éloigner les transformateurs secteur, éviter les boucles de masse, vérifier la continuité de la mise à la terre du bras/platinum, préférer des câbles phono à capacitance maîtrisée (utile pour MM) et à résistance de contact très faible (utile pour MC). Le bruit entendu à vide n’est pas un détail : il conditionne la lisibilité des pianissimos et la profondeur perçue de la scène.


Cas particuliers et familles voisines

Il existe des cellules MC à haut niveau (HOMC) qui se branchent sur entrée MM. Elles conservent une masse mobile réduite et une bonne partie de la vivacité MC, tout en évitant les grands gains MC. À l’inverse, certaines MM très soignées avec cantilever rigide et profil de pointe évolué offrent une définition étonnamment proche d’une MC bien réglée.

On croisera aussi la technologie MI (Moving Iron), cousine des MM, où un petit morceau de fer doux mobile modifie le flux entre bobines et aimants fixes. Les MI combinent souvent une inductance moins élevée qu’une MM classique et un niveau de sortie confortable, avec une signature sonore au carrefour : richesse des timbres et très belle micro-dynamique.


Réglage fin : où se jouent les derniers pourcents

Quelle que soit la technologie, les réglages font la loi :

  • VTA/SRA : un angle de lecture proche de 92° d’angle de rake (SRA) maximise la lecture des hautes fréquences, surtout avec des profils line-contact. Trop bas : son mat et fermé ; trop haut : aigu acide, perte de matière.
  • Azimut : pointe parfaitement verticale vue de face. Un azimut décalé dégrade la séparation des canaux, recentre mal les voix, floute la scène.
  • VTF : régler dans le haut de la plage peut stabiliser le suivi et lisser l’aigu ; dans le bas, on gagne en aération mais attention au mistracking.
  • Antiskating : compense la force centripète. Trop : canal extérieur aminci ; pas assez : canal intérieur compressé, usure asymétrique.
  • Charge électrique : en MM, ajuster la capacitance (en tenant compte du câble). En MC, affiner la résistance de charge ou le rapport du SUT pour équilibrer brillance, vitesse et densité.

Un MM généreux peut sonner bridé si la capacité totale dépasse les recommandations. Une MC peut paraître brillante et un peu sèche si la charge est trop élevée. Dans les deux cas, quelques essais soigneux valent plus que mille dogmes.


Performances acoustiques attendues, par registres

Grave :
MM : sensation d’assise, d’ampleur et de densité. Les notes de basse sont pleines, légèrement plus « rondes ».
MC : contour plus net, lignes de basse mieux dessinées, micro-variations dynamiques plus lisibles, sensation d’élasticité et de contrôle.

Médium :
MM : richesse harmonique, grain aimable, voix charnues.
MC : articulation supérieure, texture des consonnes, résonances de caisse nuancées, lisibilité accrue des arrangements.

Aigu :
MM : douceur, absence de stridence, parfois un léger retrait qui favorise la tolérance aux pressages.
MC : extension, micro-scintillements des cymbales, filé naturel, rapidité sur les attaques ; très dépendant d’un bon réglage et d’une charge adéquate pour éviter la sécheresse.

Dynamique :
MM : macro-dynamique plaisante, impact rythmique, « foot tapping ».
MC : micro-dynamique supérieure, contrastes internes plus marqués, sensation d’air entre les évènements sonores.

Scène sonore :
MM : large, enveloppante, moins « au cordeau ».
MC : profondeur accrue, focalisation précise, placement millimétré des sources dans l’espace.


Quel répertoire, quelle chaîne ?

Tout n’est pas binaire, mais des tendances se dessinent.

  • Écoutes longues, éclectiques, collection comprenant des pressages variables : une MM haut de gamme bien chargée en capacitance, avec profil elliptique avancé ou line-contact, offre chaleur, confort et tolérance. Elle « raconte » la musique avec générosité, même sur des disques moins parfaits.
  • Répertoires acoustiques, prises de son aérées, classique, jazz moderne, minimalisme, voix intimistes : une MC soignée exploitera la micro-dynamique, les ambiances et la profondeur. Si l’on aime « voir » dans la musique, suivre le trajet d’un archet, sentir la salle vivre, la MC séduit.
  • Chaîne et environnement : si l’on dispose d’un préampli phono performant (ou d’un excellent SUT) et d’une chaîne silencieuse, la MC livre son potentiel. Si l’on privilégie une intégration simple, robuste et économique, la MM est souveraine.

Budget, évolutivité et stratégie d’investissement

Le ticket d’entrée pour une MM de grande qualité est souvent inférieur à celui d’une MC de qualité équivalente une fois le gain MC (actif ou SUT) inclus. Les upgrades par stylus rendent la MM très évolutive : on peut passer d’une pointe elliptique à une MicroLine et transformer réellement l’écoute. À l’inverse, une MC engage davantage mais peut porter la chaîne plus loin si tout le reste suit (bras, platine, phono, enceintes, acoustique).

Une stratégie pragmatique :

  1. Soigner l’assise mécanique (platine/bras) et la section phono.
  2. Explorer une MM bien choisie pour verrouiller la compatibilité bras/câbles et apprendre les réglages.
  3. Passer à une MC lorsque le système et l’oreille réclament plus d’aération et d’analyse… ou rester en MM haut de gamme si l’on préfère la densité et la sérénité.

Mythes et réalités

  • « MC = toujours mieux » : faux. Une MM bien réglée, bien chargée, sur un bras ad hoc, peut surclasser une MC mal intégrée.
  • « MM = son bouché » : faux. La capacitance et le profil de la pointe transforment le résultat. Une MM à cantilever rigide et profil line-contact peut être spectaculaire.
  • « La charge ne change rien » : faux, surtout en MM (capacitance) et en MC (résistive). C’est un vrai égaliseur passif du haut du spectre.
  • « Plus d’aigu = plus de détail » : parfois, mais pas toujours. Le « détail » tient autant à la micro-dynamique, au bruit de fond, à la diaphonie et aux transitoires propres qu’au simple niveau d’aigu.

Conseils de mise en œuvre pour des performances optimales

Nettoyez vos disques méticuleusement ; la pointe lit la poussière autant que la musique. Niveler la platine, contrôler l’overhang et l’alignement (géométries Baerwald/Loefgren/Stevenson selon les bras), régler VTA/SRA à l’oreille (cymbales, sibilantes, aération) et azimut par méthode visuelle ou à l’aide de mesures de diaphonie. Ajuster VTF par petites touches au sein de la plage. Sur MM, mesurer/estimer la capacitance totale (câble + entrée phono) ; sur MC, tester plusieurs charges ou rapports de SUT, en privilégiant l’équilibre « rapidité sans sécheresse ». Enfin, soigner la masse et l’éloignement des transformateurs d’alimentation.


MM ou MC ? Une matrice de décision… en mots

Choisissez MM si vous recherchez une intégration simple, une signature chaleureuse, une évolutivité économique par changement de pointe, et une tolérance accrue à des pressages variés. Vous obtiendrez une musique pleine, engageante, peu fatigante, avec une scène large et des timbres aimables.

Choisissez MC si votre priorité est la transparence, la lecture des micro-informations, la profondeur de scène, et que vous pouvez investir dans un phono MC silencieux (ou un excellent SUT) et dans un réglage très soigné. Vous serez récompensé par une écoute d’un réalisme troublant, où l’on perçoit plus d’air, de texture et de nuance.


Conclusion : deux routes, un même sommet

MM et MC ne sont pas deux camps irréconciliables mais deux dialectes d’une même langue, celle de l’induction et du sillon. La MM parle avec chaleur, aplomb et connivence ; la MC susurre des secrets et dévoile des perspectives. L’une excelle par sa robustesse, sa simplicité et sa générosité, l’autre par sa finesse, sa vitesse et son relief. La meilleure est celle qui sert votre collection, votre chaîne et votre sensibilité.

Si l’on devait ne garder que l’essentiel : préférez la MM pour une musicalité immédiate, évolutive et sereine ; adoptez la MC lorsque tout le système est prêt à jouer dans la cour de la micro-dynamique et de l’espace, et que vous êtes prêt à peaufiner chaque détail. Dans tous les cas, la magie du vinyle naît moins d’un acronyme que d’un ensemble cohérent où mécanique, électricité et acoustique chantent à l’unisson — et où votre oreille reste l’ultime juge.

lexique

Lexique détaillé (MM vs MC et écosystème phono)

Aimant mobile (MM)
Technologie où un petit aimant est fixé au bout du cantilever et se déplace entre des bobines fixes. Avantage : niveau de sortie élevé (≈ 3–6 mV), compatibilité simple avec les entrées phono 47 kΩ, pointe souvent remplaçable (coût d’usage réduit). Inconvénient principal : masse mobile plus élevée, ce qui freine les transitoires très rapides et adoucit légèrement l’extrême aigu. Effet sonore attendu : densité du médium, grave corpulent, aigu doux et tolérant.

Bobine mobile (MC)
Ici, de minuscules bobines sont solidaires du cantilever et se déplacent dans le champ d’un aimant fixe. Avantage : masse mobile très faible, transitoires rapides, micro-informations riches, image plus profonde. Contraintes : faible niveau de sortie (≈ 0,2–0,5 mV), besoin d’un gain plus élevé et d’une charge résistive adaptée (ou d’un transformateur élévateur). Effet sonore attendu : transparence, aération, focalisation précise.

Moving Iron (MI)
Variante « cousine » de la MM : un petit morceau de fer mobile modifie le flux magnétique entre aimants et bobines fixes. Souvent un compromis intéressant : niveau de sortie confortable, sensibilité moindre à la capacité que la MM, très belle micro-dynamique lorsqu’elle est bien mise en œuvre.

Cantilever
Tige porte-pointe (aluminium, bore, béryllium, rubis, diamant). Sa rigidité spécifique et sa masse conditionnent la transmission des vibrations. Plus il est rigide et léger, moins il déforme et retarde le signal mécanique. Conséquences : attaques plus nettes, timbres plus justes, haut du spectre plus propre. L’aluminium sonne souvent doux et aimable ; bore/béryllium/diamant apportent vitesse et précision (mais exigent un réglage plus fin).

Profil de pointe (diamond stylus profile)
Forme du diamant en contact avec le sillon. Sphérique/conique : tolérant, mais résolution HF limitée, IGD plus marquée. Elliptique : meilleur suivi latéral, aigu plus propre. Line contact / Shibata / MicroLine / MicroRidge / Fritz Gyger : grande surface de contact en profondeur du sillon, meilleure récupération d’information, distorsion interne réduite… à condition d’un alignement (azimut, VTA/SRA) très précis.

Compliance (souplesse)
Souplesse de la suspension de la cellule (µm/mN). Haute compliance = suspension plus flexible, adaptée aux bras légers ; basse compliance = suspension ferme, bras plus massifs préférés. Avec la masse effective du bras, elle fixe la fréquence de résonance bras/cellule (cible ≈ 8–12 Hz). Trop basse : sensibilité aux voilages/ondulations ; trop haute : interférences avec le grave audible.

Masse effective du bras
Masse « dynamique » ressentie par la cellule. Plus elle est élevée, plus elle aime des cellules basse compliance ; plus elle est faible, mieux elle s’accorde avec des cellules haute compliance. Un appariement correct stabilise le suivi, clarifie le grave et réduit le « pompage » visible.

Fréquence de résonance bras/cellule
Fréquence propre du système bras + cellule, idéalement entre 8 et 12 Hz (sous-basses hors bande audio, au-dessus des perturbations mécaniques du plateau). Un réglage qui tombe hors de cette fenêtre augmente distorsion, pleurage très bas, remontée de bruit mécanique et instabilité de scène.

VTF (Vertical Tracking Force) / Force d’appui
Force exercée par la pointe sur le sillon (en grammes). Trop faible : mistracking, sifflantes, distorsion et usure accrue ; trop forte : écrasement du sillon, perte d’air. Viser le milieu/haut de la plage recommandée stabilise le suivi et l’équilibre tonal. Ajuster par pas de 0,05 g peut transformer le haut du spectre et la tenue du grave.

Antiskating
Force opposée à l’attirance vers l’intérieur du disque. Trop d’antiskate : canal extérieur aminci, cymbales crispées ; pas assez : canal intérieur épaissi, usure asymétrique de la pointe. On l’affine à l’oreille (équilibre des canaux sur passages difficiles) ou via des pistes de test.

VTA / SRA (Vertical Tracking Angle / Stylus Rake Angle)
Géométrie verticale de lecture. Le SRA (angle « d’attaque » du diamant) vers ≈ 92° maximise la lecture des hautes fréquences avec profils line-contact. Trop bas : son mat/fermé ; trop haut : aigu acide et perte de matière. On ajuste finement via la hauteur du bras, en contrôlant cymbales, sibilantes et aération.

Azimut
Verticalité de la pointe vue de face. Un azimut incorrect dégrade la séparation des canaux, recentre mal les voix et floute la scène. Réglage idéal : pointe parfaitement verticale, bobines symétriques par rapport au sillon. À peaufiner à l’oreille et, si possible, par mesure de diaphonie.

Capacitance (capacité) du câble/entrée
Capacité totale vue par la cellule (câble + entrée phono, en pF). Critique en MM (inductance élevée) car elle forme avec l’inductance un circuit résonant dans l’aigu. Capacitance trop forte : pic de présence, brillance artificielle ou, selon amortissement, aigu arrondi. En MC, l’inductance interne très faible rend la capacité beaucoup moins influente ; la charge résistive prime.

Inductance interne
Propriété des bobines (en henrys ou millihenrys). Élevée en MM, très faible en MC. Avec la capacitance, elle fixe la position et l’amplitude d’une résonance électrique (principalement audible en MM). D’où l’importance de rester dans la fenêtre de capacitance recommandée pour une tonalité neutre.

Impédance/Charge d’entrée
Résistance vue par la cellule. MM : 47 kΩ « standard », souvent non réglable. MC : charge résistive réglable (souvent 30–500 Ω) ; trop élevée ⇒ aigu brillant et texture granuleuse ; trop basse ⇒ son étouffé, épaissi. Règle de départ : charge ≈ 10 × l’impédance interne de la cellule, puis affiner à l’oreille.

Transformateur élévateur (SUT, Step-Up Transformer)
Transforme la faible tension d’une MC en tension utilisable par une entrée MM 47 kΩ. Rapport 1:10 ≈ +20 dB ; 1:20 ≈ +26 dB. La charge « réfléchie » côté cellule est 47 kΩ / (rapport²) : par ex. 1:10 ⇒ ≈ 470 Ω, 1:20 ⇒ ≈ 118 Ω. Avantages : bruit extrêmement bas, dynamique organique. Exigence : appariement précis au générateur MC (impédance interne et niveau de sortie).

Niveau de sortie (Output)
Tension délivrée par la cellule à 5 cm/s (mV). MM : 3–6 mV ; MC LO : 0,2–0,5 mV ; MC HO : 1,5–2,5 mV (utilisable sur MM). Le niveau conditionne le gain nécessaire du préampli (≈ 35–40 dB pour MM ; 55–70 dB pour MC LO). Plus le gain requis est élevé, plus la maîtrise du bruit et des boucles de masse devient critique.

Égalisation RIAA
Courbe normalisée : le disque est gravé avec aigu pré-accentué et grave atténué ; le préampli applique l’inverse (aigu atténué, grave réamplifié). Conséquence : le tout-bas (rumble, résonances mécaniques) ressort en lecture si la platine/bras/cellule ne sont pas bien contrôlés. La précision de la RIAA et le headroom du préampli influencent lisibilité des basses et propreté des fortes.

Diaphonie / Séparation des canaux
Mesure (en dB) de l’isolation G/D. Plus elle est élevée (30 dB et + à 1 kHz), plus la scène est stable, profonde et focalisée. Elle dépend de la symétrie mécanique/électrique de la cellule, de l’azimut et du câblage. Une séparation faible se traduit par un centre flou et des placements incertains.

IGD (Inner-Groove Distortion)
Distorsion qui augmente en fin de face (rayon de courbure plus serré). Réduite par un profil de pointe avancé (line-contact), un alignement rigoureux (Baerwald/Loefgren/Stevenson selon bras), un VTF optimisé et des disques propres/peu usés. À l’oreille : sifflantes, dureté sur les dernières minutes.

Mistracking (perte de suivi)
Quand la pointe n’adhère plus parfaitement au sillon lors de passages exigeants. Symptômes : stridences, distorsion sur transitoires, bruit granuleux. Causes typiques : VTF trop faible, compliance/masse mal accordées, antiskate inadapté, disque sale/voilé.

Bruit de fond (Noise Floor)
Niveau de bruit résiduel de la chaîne phono. Déterminant pour la lisibilité des pianissimos et l’aération. Facteurs : blindage des câbles, boucle de masse, éloignement des transformateurs secteur, qualité du préampli (bruit d’entrée), qualité et propreté du disque.

Blindage & Masse (Grounding)
Organisation des masses et blindage électromagnétique. En MC low output, la discipline est cruciale : masse du bras reliée correctement, châssis à la terre si nécessaire, câbles phono de qualité, éviter les boucles (un seul point de référence), éloigner les champs 50/60 Hz (alims, moteurs).

Macro-/Micro-dynamique
La macro-dynamique décrit les grands écarts (impact batterie/orchestre). La micro-dynamique concerne les infimes variations d’intensité à l’intérieur des notes et des ambiances (respirations, frottements). Les MC excellent souvent en micro-dynamique grâce à la faible masse mobile ; de bonnes MM conservent une macro-dynamique engageante et un « swing » très musical.

Image stéréophonique / Scène sonore
Perception de largeur, profondeur et hauteur de la scène. Elle dépend de la séparation des canaux, du bruit de fond, de la précision des transitoires et de la symétrie mécanique (azimut, alignement). Les MC dévoilent souvent plus de profondeur et de micro-réverbérations ; les MM donnent une scène large et enveloppante, parfois moins au « scalpel ».

Charge capacitive (MM) vs charge résistive (MC)
Règle d’or pratique : en MM, surveiller la capacitance totale (câbles + entrée) pour éviter une coloration de l’aigu (pic/creux). En MC, l’élément déterminant est la résistance de charge (ou le rapport de SUT), qui façonne la vivacité de l’aigu, la texture et la sensation d’air.

Préampli phono (gain, RIAA, headroom)
Étage spécialisé qui amplifie et égalise le signal de la cellule. Trois piliers : bruit d’entrée très bas (surtout pour MC), précision RIAA (éviter tonalité faussée) et headroom (ne pas saturer sur crêtes). Un très bon phono peut faire sonner une MM exceptionnelle et laisser une MC révéler son plein potentiel.

Entretien (pointe & disques)
Pointe propre et disques nettoyés réduisent la distorsion, le bruit et l’usure. Les MM autorisent des remplacements de stylus (évolutivité). Les MC nécessitent retip/échange chez un spécialiste en fin de vie. L’entretien conditionne directement la finesse du haut du spectre et la stabilité du suivi.

HOMC (High-Output MC)
Cellule MC à niveau de sortie relevé (≈ 1,5–2,5 mV), utilisable sur entrée MM. Elle conserve une partie de la vivacité MC sans exiger un gain MC élevé. Compromis intéressant quand on veut la vitesse d’une MC sans complexifier tout l’écosystème.

Sommation pratique : appariement et réglages
Un système phono performant naît de trois accords : mécanique (compliance ↔ masse du bras, VTF, VTA/SRA, azimut), électrique (capacitance pour MM, charge résistive/SUT pour MC) et environnemental (bruit, masse, blindage). MM tend vers la chaleur maîtrisée et la tolérance, MC vers la transparence rapide et la profondeur — mais les réglages peuvent rapprocher considérablement les deux mondes.

 

Christian Lafleur | Chroniqueur spécialiste Audio/Vidéo

« Passionné de musique et de haute-fidélité depuis plus de 20 ans, j’ai accompagné de nombreux mélomanes dans le choix de leurs systèmes audio. Avant de me joindre à l’équipe de Laliberté Électronique en juin 2025, j’ai occupé les fonctions de concepteur-rédacteur et chroniqueur en audio/vidéo de 1990 à 2002, puis de conseiller haute-fidélité et directeur des ventes & marketing chez Audiolight de 2002 à 2025. Aujourd’hui, à travers mes blogues, je mets à profit mon expérience et ma passion pour partager mes découvertes, conseiller et inspirer tous ceux qui souhaitent vivre une expérience d’écoute unique. »

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